Papa prépare des croque-monsieur à l’emmental en écoutant un disque de Charlélie Couture; ça me donne envie de renifler des merles sur le départ, les pattes collées aux branches des arbres morts, l’oeil mauvais, le bec aiguisé aux notes du temps. Qu’il fasse nuit ou qu’il fasse jour ça change que dalle, les mauvais rêves s’agglutinent à mes côtes comme des nuées de mouches aux cadavres gazouillants : dans ma bouche tes doigts se noient. Eh! ça manquait de fiel par ici, repasse-voir un coup de tondeuse sur la main de bébé, qu’il ne puisse plus gribouiller les murs. À l’étage y’a maman qui lit des magazines cochons en sifflotant : le confinement lui a chouré sa jeunesse. 3 amants troqués contre la démarche indolente du temps qui se trémousse et s’étire sous nos yeux humides, comme une chemise l’été, sous les plis du menton se cache un monde à refaire. Ma sœur se caresse sous la douche, d’une main experte elle cherche des mélodies enfouies au plus profond de son être, je donnerais 15 ans de ma vie pour qu’elle me montre, à moi, de quel bois je suis faite. Ses doigts de pieds dansent avec les Loups, ses ailes enlacent notre piano fatigué, et le chat joue avec nos songes. Il a tout vu tout vécu sans en perdre une seule vie : ses moustaches, dessinées par Rembrandt, battent la mesure endiablée du milieu de disque. Je lui tapote le crâne sans vraiment trop y croire, mes pantoufles raclent le parquet, je serais bien mieux au fond d’un club, sur une banquette rapiécée, main gauche en l’air et l’autre sous ton pull, à trifouiller, les oreilles pleines d’un concert prodigieux, l’épiderme se soulevant à chaque claquement de grosse caisse et l’échine qui miaule aux riffs de ceux qui savent y faire, les véritables héros de ce siècle des Délires, les poètes remâchés, recrachés, combien de temps avant la révolte ? Je me demande si le sursaut du monde végétal m’engloutira avant la came ou bien si tu me reparleras un jour. En attendant, je pousse le volume au maximum afin qu’il couvre les cris des corps vieillissants, très peu pour moi, resserre donc un cognac, entre tes doigts j’apprends à sourire.