Assis dans une pénombre bleutée, les doigts tordus vers le Néant, je gratte les murs de ma cellule. Un à un, les jours naissent puis se meurent contre ma peau, désabusés, au moins autant que moi.
L’unique couverture de laine grossière en ma possession me nargue, roulée en boule et jetée tout au bout du matelas puant qui me sert de couchage.
Soudain, je suis pris d’une envie irrépressible de m’envelopper dedans, à poil. Je me redresse vivement, enlève mon t-shirt et enroule la couverture autour de mes épaules. Ses coutures scandaleuses griffent mes bras, ma nuque rougit sous la pression. D’un coup de hanche, je me débarrasse aussi de mon pantalon et me met à sautiller d’un pied sur l’autre. Le sol est gelé, je vais encore y perdre des orteils.
Le cabinet, le cul vissé au sol, me dévisage d’un air mauvais. Il ouvre grand sa gueule de marbre zébré de merde et vocifère en ma direction. J’esquive les postillons de pisse avec agilité, mazette les copains, d’où me vient cette étonnante volupté ?
Condamné au Silence, je communique avec les ombres, surtout les plus dangereuses. Ce sont elles qui me maintiennent en vie, berçant mes douleurs de leurs voix taciturnes et rongeant mon ennui. Sans elles, je suis perdu. Sans elles, autant s’ouvrir le visage au couteau et sectionner les câbles qui frémissent sous les joues, derrière la peau, quitte à salir la cellule, quitte à louper le repas du soir.

Night in Tijuana a l’âpre consistance d’un disque charcuté, d’un disque à l’âme meurtrie. Les sillons gonflés d’une mélancolie étouffante, le skeud n’est pourtant pas en reste lorsqu’il s’agit de surprendre : la clarté émise par les bribes mélodiques – aussi fugaces que nombreuses, des divers instruments qui parcourent ce trip halluciné est saisissante. L’univers de Kelman Duran, d’ordinaire plus chaleureux et sensuel, revêt ici des allures de Vagabond menaçant. L’artiste nous invite à marcher dans le sillage d’un sombre type dévoré par ses élucubrations nocturnes, sans Nom et sans Odeur, fondu à une nuit sans fin dont l’haleine a obstrué le monde, afin qu’Il se confronte à ses péchés..