1972

 

J’ai débarqué sur cette plage un matin d’avril, à poil comme un nourrisson, les fesses blanches de trop souvent dormir sur le dos. Mes traces de pieds me rappelaient, à intervalle régulier – 17 centimètres – à quel point il serait compliqué de rattraper le temps perdu. Alors je me suis dirigé vers l’Océan qui palpite afin d’y rafraîchir mon corps. Je barbotais tranquillement, sans trop m’inquiéter de mon sort, chatouillant les poissons qui nageaient sous moi, du bout des orteils, lorsque j’aperçus des silhouettes qui se dessinaient à l’horizon. De surprise, j’avalais un peu d’eau salée, la recrachais par les narines, ça m’a fait tousser. Je ne savais que faire, mon coeur tambourinait contre mes chairs, ma queue s’était recroquevillée de trouille, un banc de gobies se marraient dans un tourbillon de bulles. Les minutes s’égrainaient, au rythme d’instrument givrés, tandis que les cuivres et claviers s’emballaient joyeusement. Drôle de contraste qui commençait à me mettre mal à l’aise. Quelle position adopter? Se laisser porter ou résister?
Des mioches. Les ombres se sont découvertes des tailles, des carrures et des visages. Qu’est-ce qu’ils foutaient là? Je nageai lentement vers la plage, une angoisse nouvelle alourdissait mes membres. Que tenaient-ils dans leurs poings serrés? De longs bâtons aiguisés – des lances!! – , quelques épées de bois, des arcs. Chasseurs pubères aux bouches rieuses, les voilà qui entament une drôle de danse autour d’une masse noire que le plus grand d’eux vient de déposer sur le sable pâle.
 
Sa Majesté des Mouches, ne serait-ce pas ton propre squelette amenuisé qui gît aux pieds de tes descendants aux mains lisses?