Ce morceau est la femme dont je suis tombée amoureuse lorsque j’avais 8 ans. Il est aussi celle que je ne serai probablement jamais.

Dans les ourlets d’un manteau bleu, il gesticule au rythme des vagues imaginaires de ta pensée détruite ; cela me plait, d’imaginer un monde où tous les chats me fuient. Je n’aurai qu’à traîner seule mes pieds dans le sable, roulant les billes citron entre mes orteils.

à quatre pattes, je m’approcherai de ta statue, sans un bruit, afin de m’y écorcher la peau.

De toutes les femmes tristes dont il m’a parlé sans gène, entouré de néant, tu es la seule que je n’ose pas contempler.

à d’autres !

Ainsi, sans mot dire, je te propose de m’effacer, à la manière d’un songe, qui d’une bien étrange cabriole, échappe à nos souvenirs quelques secondes après que nous ayons ouvert les yeux.

Tu es mon paradis, je suis ton mystérieux silence

La salle des fêtes est prête à accueillir les convives. Éclairée par mille chandelles boursouflées de cire, il y règne une chaleur étouffante. De grosses tables en bois disposées en quinconce attendent sagement que l’on dépose sur leur dos les mets préparés avec ferveur pour l’occasion. Adroitement disposés contre les dentelles des nappes, les couverts d’argent luisent effrontément, à la lueur des bougies. Les fauteuils sont de velours, aussi dignes et nobles que le temps. Entre les tables, assez d’espace pour permettre aux domestiques de se mouvoir les bras chargés des divers plateaux et pichets remplis à raz bord. Un frémissement imperceptible secoue l’échine de celle pour qui, c’est le premier soir. Les invités arrivent ! Le brouhaha des discussions se fait entendre, de l’extérieur. à la hâte, elle tente de se remémorer les derniers conseils du majordome, prodigués quelques heures plus tôt, lorsqu’elle s’apprêtait à quitter la propriété de ses maîtres afin de rejoindre la ville.
Sa figure fraîche, éclairée par de grands yeux verts, son menton blanc ainsi que ses cheveux propres rappellent l’innocence d’un matin de printemps. Les premières ombres pénètrent dans la salle, attardent leur regard sur l’immense piano qui accompagnera leur soirée, puis s’installent derrière leurs assiettes de porcelaine.

Le ballet des va-et-vient bat son plein : les mets s’entassent sur les tables, dans les assiettes et se mélangent dans les bouches avides. Viandes fondantes, pommes de terres braisées, sauces onctueuses et légumes croquants, autant de plaisir arrosés par de généreuses lampées des vins les plus chers. La jeune fille, habitée par une concentration exemplaire, s’incline et virevolte de table en table, remplissant les verres, débarrassant les plateaux vides, ravitaillant cette masse bruyante et parfumée.

Ce fut comme tomber d’une très haute falaise et s’éclater la gueule au sol, broyé par des rochers.

Une femme aux cheveux noirs, assise à gauche d’un homme à grosse moustache, planta son regard dans le sien.
Des yeux ardents, des yeux de feu dans lesquels la jeune fille noie son innocence. Un nez droit, piqueté d’étoiles brunes, surplombait des lèvres tendres, des lèvres au goût de fièvre qui lui firent tordre ses mains de douleur. La femme, sans la quitter des yeux, replace une mèche ébène derrière son oreille, dégageant ainsi un morceau de cou, blanc et lisse, morceau d’ivoire tendre sur lequel seul le plus habile des pianistes aurait le droit d’y déplacer ses doigts.
Des cris d’allégresse la firent tressaillir.
Un invité s’était levé brusquement et, fondant sur elle à la manière d’un jaguar enragé, l’encercla de ses bras puissants, la plaquant contre son torse, l’obligeant à se retourner.
Prédateur malhabile, n’as-tu aucun honneur ?
Embués de larmes, les yeux de la jeune fille se ferment. Elle se maudit de ne pouvoir bouger, tétanisée, perdue. Ses bras, ballants, ne sont plus que deux tiges mortes, abîmées de violence.

Mais alors qu’elle se croyait perdue, jetée en pâture aux lions, kidnappée par erreur et forcée à danser contre le corps moite d’un être sans couleur, un silence assourdissant tomba sur les Hommes et les choses.
La femme aux cheveux noirs s’était levée brusquement, faisant tomber sa chaise au sol; puis, dignement, avait posé une main sur l’épaule de l’homme qui arrêta net ses grossiers pas de danse. Elle approcha son visage de l’oreille de la jeune fille afin de lui murmurer quelque chose. L’homme relâcha sa proie qui rouvrit les yeux.

Un battement de coeur la séparait d’une main tendue, qu’elle saisit sans se faire prier.

La femme l’entraîna dehors. Les ténèbres mordirent à pleine dent leur chair et la lune se refléta dans leurs cheveux.
Elles s’engoufrèrent dans une voiture qui les emmena dans un lieu secret.

Cette nuit, que les astres s’en souviennent !

Harmonieuse et souple, la sphère de ton corps sous mes dix doigts rayonne. Tendrement, j’imprime une morsure à l’orée de ton buste,
nous sommes en sureté, tu n’as plus rien à craindre.

« J’passe de ta bouche à tes lèvres,
j’ai passé l’âge de vivre à sa manière
Dis-moi pourquoi, pourquoi elle s’énerve,
Elle aime pas Columbine mais Columbine est célèbre »

 
Ce morceau porte le parfum des femmes qui ont métamorphosé mes nuits, et a l’odeur de celle qui partage mes pensées.

Je ne dis pas que ce sera facile,
peut-être même que l’issue de ce combat est effroyable,
Mais laisse-nous rêver un peu,
Nous aurons bien le temps de pleurer,
plus loin,
Lorsque les mots seront effacés.