J’ai pulvérisé mes songes à l’arbalète dorée, trainant des pieds devant l’avenir et refusant catégoriquement le deal du Temps. J’ai tout de suite pas eu confiance ; trop grand, trop propre sur lui, avec ses cheveux gominés et son horrible manteau cendré, on l’aurait cru tricoté des restes ramassés à la balayette au goulot d’un four crématoire. J’ai plus jamais envie d’avoir trop chaud, ça me rappelle trop ces femmes à la peau crémeuse exhibées dans des cages en verre – maintenant que j’y songe, peut être qu’elles se protègent du monde extérieur ? Ce dont je me rappelle du quartier pourpre d’Amsterdam, c’est que j’ai pas été foutue de lever la tête pour oser les regarder ; ni leur corps ni leurs prunelles. J’ai un problème avec la nudité des femmes, à moins que ça ne soit avec la nudité tout court ou bien les femmes tout court : je me replie toujours derrière mes cheveux qui rongent la moitié de mon visage et je dois dire que je m’y sens bien. Mais pourquoi pas changer de personnage ?

Imaginons que je sois cette femme fatale croisée dans un parc de la capitale, un soir d’automne drapé d’ocre et d’humus, j’ai une démarche de fauve d’argent, féline et menaçante : tous les braconniers de la ville sont à mes trousses mais savent que s’ils se loupent je les croquerai sans une once de pitié. Mes cheveux tirent sur le rouge/auburn, (j’ai pas envie de vérifier quelle couleur ça donnerait mais dans ma tête c’est superbe) et je les libère du joug d’un élastique épuisé qui par endroits s’effrite, paresseusement. Le lâche ! Un mouvement mignon de la nuque afin d’insuffler un peu de groove à ma coiffure, les mecs se retournent, la soirée sera longue, surtout que j’ai très soif. Mes gosses attendront. Oui, j’en ai 2, non, 3 ! De pères différents. Tous les 3. Ou plutôt non, du même type, mon meilleur ami d’enfance avec qui je suis mariée depuis 16 ans, pd comme un loir et chef d’un resto 5 étoiles. Tu parles ! Il est serveur dans un troquet minable planté en plein centre d’un quartier coloré, et il se tape des petits jeunes, sur le chemin de la Mosquée, qui préfèreraient se trancher la gorge à la petite cuiller plutôt que d’annoncer à leur famille qu’ils aiment les mecs; en même temps, je les comprends, on vit au Moyen Âge, sale époque pour les Libertés. D’ailleurs, j’arrive devant l’auberge, je pousse l’épaisse porte de bois du bout du pied et me laisse lourdement tomber à une table du fond, mal éclairée. J’enlève mes gants et pose mon épée en évidence sur la table, pas du tout envie de me faire emmerder ce soir, la journée à été rude.. On n’a toujours pas mis la main sur ce foutu Graal et Arthur est parti furax chez je ne sais quelle maîtresse, ça va foutre un sacré bordel parce qu’on est jeudi, et le jeudi c’est le jour qu’il est censé passer avec sa femme, oh et puis merde, je peux pas être au four et au moulin, si la nation s’effondre aux pieds de nos envahisseurs (nous-mêmes ?!?) c’est pas du courage qu’il nous faudra mais de l’alcool. Et de la came.
Je renifle en enfonçant mes poings un peu plus profondément dans les poches du hoodie crasseux que je porte en allant au quartier choper 2 grammes.
ça fait des jours que je tripe, se laver s’est mu en un concept obscur à peine plus lointain que toi et moi, pourtant j’aurais juré avoir senti ton odeur au bord de mon coussin hier soir, pile sur la couture qui sépare nos mondes condamnés, les âmes qui se brouillent et les instruments qui crament au creux de ton ventre, tout ça pour qu’au final tu finisses seule au milieu d’une cage en verre et que je n’ose pas te regarder.

J’allais plonger dans un océan morose parce que la solitude me gouverne et me fait ressentir des choses pénibles ces derniers temps mais Mais MAIS !

J’ai enclenché Nightbath en m’ouvrant une petite bière aromatisée tequila et je dois dire que j’ai été happée par un truc énorme. Une sorte de grosse boule multicolore et pétillante qui m’a gobée en rigolant, et je suis partie pour un sacré voyage. Illuminé et bouleversant comme une nuit d’amour exaltée, cet album incarne une multitude de personnages et d’humeurs sans jamais trébucher. Les rythmes épanouis et détraqués sont de parfaits partenaires aux mélodies électriques qui ne cessent de bondir et de surprendre (la fin de whisper… please !). En plus, la track 9, mutant, peut se targuer de posséder l’une des meilleures montées musicales de ce siècle, tous genres confondus (à partir de 3minutes 18secondes…) et la structure générale du disque, ou devrais-je dire de l’histoire contée, trouve écho dans chaque mesure de chaque morceau, sans aucun moment d’ennui ni de redondance. Excusez-moi mais je n’y croyais plus.
Le traitement des voix, qu’elles soient saccadées, tranchées ou rapées m’a ému comme rarement, ça parait presque dingue de se dire que ce ne sont probablement que des machines et la multiplicité de circuits marqués par la soude qui sont à l’origine de tant d’émotion, bah écoute mon vieux, si c’est ainsi, je veux bien me transformer en synthé moléculaire du futur lorsque je mourrai, afin de peut être passer sous les phalanges délicates d’un magicien du Son.