Dans quel pétrin s’est-il fourré, le petit colporteur au visage rond, fringué comme un grand prince, les paumes tournées vers la vie vraie, celle qui arrache et tranche des ronds de chair, plantant ses griffes au plus profond des os. La ville, engoncée dans son manteau gris de collecteur d’impôts, postillonne sa détresse à chaque plan, arrosant les âmes tristes des bâtiments de son haleine mouillée, révélant vaguement les silhouettes de ceux qui narguent le réel, de ceux qui tiennent. Fais gaffe, bonhomme, le flingue chargé est pointé vers ton corps trop grand, grignoté par l’Abîme. Les solitudes parfumées de cet amant sans âge s’étalent et se dessinent à un rythme effréné sur sa frimousse changeante. Qu’il soit complètement bourré ou amoureux, en taule ou millionnaire, c’est son authenticité joueuse qui affole. Ses pitreries, ses sautes d’humeur, ses gestes fous, pleuvent sur nous comme autant d’uppercuts qui nous castagnent et nous envoient au tapis, la mâchoire disloquée, sonnés.
Le titre annonçait la couleur et pourtant, on se surprend à espérer une fin heureuse pour ce Robin des Bois des temps modernes, assommé par le poids de sa propre existence. Il a de jolies mains et une sacrée paire de cordes vocales qu’il saura malmener tout au long de son histoire. Les filles ? Il joue avec sans sourciller. Mais en contrepartie, elles le rendent fou. Faut dire qu’il a du mal à s’décider, le bougre. Jeanne le fait clairement débander et l’exaspère et pourtant, pourtant ! Il la protège autant qu’il la malmène, tout comme la petite Mona aux lèvres timides qu’il prétend vouloir sauver… Et son patron aux yeux vitreux et à la bouche pendante qui le dirige d’une main grasse, l’enterrant un peu plus à chaque confrontation. Mais de quoi a-t-il peur, au juste ? Est-ce de la culpabilité ou une frousse démente qui ronge sa silhouette chétive ?

À l’image de son protagoniste, le film sidère autant qu’il fascine. Et j’aimerais insister sur un point : les scènes tournées dans l’appartement de Franck sont toutes absolument réussies et magistrales. Du craquement du parquet à l’élargissement de l’espace lorsque Jeanne se fait la malle, tout transpire la perversion de la solitude et le malheur de l’âge. Quelques rasades de whisky plus tard, on se retrouvera, chemises ouvertes, regard hilare, tordus de rire, les veines gonflées d’un orgueil de Roi, la valise pleine de billets de banque fraichement volés à portée de mains, et on ira, bercés par les tubes de l’époque, sur les routes exquises consommer nos péchés.