La femme pauvre n’a plus d’odeur depuis des siècles ; accroupie sous les étoiles tristes, elle tisse des petits mouchoirs de soie sur lesquels les plus chanceux y verront leur avenir. Condamnée à écrire un texte idéal, je m’accroche à ton souffle – radieux. Les tripes en vrac, j’entame le périple, mal armée, des trous dans les semelles, l’humeur de glace. Je me fraye un chemin à travers tes cauchemars jusqu’à la cité des Poètes, couverte du lourd manteau des disputes du Temps. Autour de moi, des grenouilles et des grappes de Charognards sur les côtes que le vent n’arrive pas à chasser. Chaque coup d’épée sonne différemment, comme les pauvres instruments d’un orchestre qui déraille ; je me contente de faire quelques pas, la gorge déchirée par l’ennui que je roule en fines cigarettes, l’air de rien. Même si la tâche est cruelle et le combat perdu d’avance, je continue de ramper dans les bois, le crâne sale. Des chiens célestes rampent dans mes orteils et les puces, les puces grouillent et se noient dans la salive de Saturne ; je m’arrête à cause des cris ; la sueur grasse du poète enfermé dans le noir a l’odeur du plomb.
Pour avoir une idée de la grandeur des Hommes et de leur destruction je n’ai qu’à frôler ton visage du bout des doigts : un incendie se glisse sous mes ongles et embrase mes chairs, pourtant je ne dis rien. Je l’ai cherché. J’essaye carrément de sourire, même si je sais pertinemment qu’on n’y voit rien, dans le noir. Le futur, lavé de ses fautes, déploie doucement son réseau de nerfs irisés qui se faufilent dans les Ténèbres, dragons éternels aux ailes de braises se frayant un chemin dans notre Humanité. L’horizon fait les cent pas dans le creux de mes mains.
Je m’écarte légèrement du vaisseau-Monde pour ne pas totalement perdre la tête. Sous la Lune Rouge, d’anciennes obsessions hurlent à pleins poumons et déchirent les Ténèbres ; j’aperçois alors une petite clairière nimbée d’aurore. Je ris tellement que mes côtes me brûlent. C’est ici que…
J’implore le ciel de revivre ici et maintenant cette scène d’amour de dingue MAIS avec TOI sous mes ongles et TON corps à TOI sous mes dents. Les arbres ondulent comme un tissu de soie sous les caresses et y’a plus que du muscle et de la chair mélangés dans nos souffles voraces que rien ne semble pouvoir éteindre.
J’ai un peu peur de toi.
Mais parce que je me bats contre l’Oubli depuis des siècles, j’ai gagné un petit peu de ta confiance.
Tu sais, un jour, mon feu va s’éteindre.
Je me réveille aux pieds du plus gigantesque des Tombeaux du Temps, ton odeur sous la langue, une lame brûlante à la main. Oui, l’Humanité est malade, mais le Langage n’a pas dit son dernier mot. Je te mâche et grimpe les trônes de sable à toute vitesse. Les Dieux sont tous aveugles, il faut en profiter. Le groupe qui me fait face a honte : ils ont tous des silhouettes fragiles qui se brisent comme du crystal sous mes coups. Le doigt qui tremble sur les souvenirs, je vois les arbres, là-bas, mais ceux qui sont debout ont l’air mort. J’affirme une dernière fois mon existence en criant ton prénom, six lettres rêvées pour le voyage, puis je dépose les armes devant le poète à l’âme triste.