Jacques Audiard – 2015

Pourquoi ai-je fui ce soir? 

Il
y a bien longtemps qu’ils ont perdu leurs âmes, arrachées de leurs
corps à coups de crocs et de mitrailles, sous les prunelles
bouillonnantes d’un pachyderme de feu. Habitées par la fuite, Illayaal
l’enfant, et Yalini – la jeune femme, n’hésitent pas à se dévêtir pour
endosser l’identité toute autre de la Liberté. Le regard hanté par le
deuil, Dheepan, quasi-mutique sous ses mèches sombres, tente la
normalité, enfouissant au plus profond de son être, derrière un voile de
branchages équatoriaux, l’animal majestueux qu’il eut été un
jour. Pourtant, cette Terre Promise fracturée aura-t-elle raison de lui? À quelques pas de leur modeste refuge se dressent les tours d’un Roi
cruel, dont les immenses pupilles renvoient d’étranges reflets.. Des armes pour l’intrépide Monarque à la gâchette facile contre quelques échanges silencieux à la douceur fragile – Les deux femmes, en fuite perpétuelle (sur l’affiche, déjà, leurs corps évoluaient hors cadre) contrastent avec Dheepan, sinistre guerrier maudit, dont l’obsession de garder son territoire grandit de jour en jour.
Jusqu’au sursaut du réveil, les 3 respirations flottent entre les murs en symbiose ; mais prenez-garde, fugitifs, la tranquillité est éphémère! 
Lorsqu’il voit son avenir menacé par les troupes encapuchonnées, Dheepan se métamorphose : cheveux plaqués en arrière, regard moins fuyant et le front dégagé,  c’est en rescapé des Limbes qu’il s’éveille : diverses lames entre les doigts , respiration haletante, l’ardent soldat déploie ses armes comme l’éléphant ses oreilles, couvrant d’une ombre sépulcrale les formes et les êtres environnants. La puissance Romanesque du film d’Audiard est hors de portée, si colossale, sorte de bête majestueuse au squelette mordoré, qu’il serait impensable de la capturer.