Dissimulée à l’angle du couloir, une ombre longiligne attend. 
La main glacée d’une fillette caresse la poignée en fer, la tourne. Une fois la porte entr’ouverte, elle sort timidement de sa chambre, ses pieds nus frottant contre le parquet. 

Lentement, elle progresse dans le sombre corridor, le coeur battant, attentive aux frissons de la Nuit qui entoure les formes, avale les contours des choses. 

Soudain, son pied se prend dans la chevelure de l’ombre, son corps bascule en avant. Sa tête vient heurter le sol de plein fouet, les os de son nez se brisent avec fracas, du sang éclabousse son front , lisse et blanc, doux comme un songe. 

Sa vie la quitte, sans un bruit. 

 

Accoudé à une table en hêtre, dont les pieds, éclaboussés de Kanjis
rouge sang frémissent de peur, le vieux Samurai sirote placidement sa
bouteille de saké. Au fond de la pièce, allongé sur un coffre sombre,
sommeille un chat blanc au pelage constellé de taches brunes. Ses
moustaches hirsutes pointent vers le haut, lui conférant ainsi l’air
d’un vieux sage un peu toqué.

 Le Samurai se racle la gorge. D’un mouvement vif, il caresse le Katana
posé à côté de son verre, et lui murmure quelques paroles apaisantes.
Dehors, la nuit retire sa cape sombre avec paresse, laissant le soin à
l’aube d’illuminer le village endormi.  Une poignée de grillons ivres
frottent frénétiquement leurs pattes en baillant ; l’atmosphère, gonflée
par le cri des insectes, se fait plus pesante .

 

Au coin d’une ruelle
proche, trois ombres encapuchonnées filent vers leur destin, les mains
visées sur le pommeau de leurs épées. Attiré par la Mort, motivé par une
funeste soif de vengeance, celui qui ouvre la marche accélère le pas,
écrasant des grillons à chaque enjambée. Les voilà devant la porte
grande ouverte; un filet de lumière glacée lèche leurs silhouettes. D’un
commun accord, ils pénètrent en même temps dans la pièce.

Le
vieux Samurai ferme les yeux, emplissant ses poumons d’air une dernière
fois. Il empoigne son arme à deux mains, tout en faisant face à ses
adversaires.

 Quelques instants plus tard, il tombe, une épée plantée entre les omoplates.  
Le chat se laisse alors mourir , à ses côtés.