J’ai croisé le regard du Christ, seul, égaré quelque part entre mes craintes et ton sourire.
Ses jambes, piquetées de taches sombres, tremblaient légèrement lorsqu’il s’est figé à ma rencontre.
Les lèvres qui se lèvent, babillent, fument et se décochent des mots d’amour n’ont plus d’odeur. Sèches, les voilà qui se fissurent à quelques centimètres de mon ombre. Alors, les arbres qui nous entourent lancent leurs racines tels des filets ; je tends la main mais il détourne les yeux, luisants comme des truites. Les cieux s’agitent et me mastiquent à s’en rendre barge. Je tends l’oreille pour ne rien perdre de la peur qui a obstrué mon souffle : à travers d’étranges sifflements, et comme à travers une porte aux mille échos écrabouillés, quelques notes me parviennent. J’entends pas très très bien, mais ça me plaît. Je saisis pas encore non plus l’ampleur de la débâcle, les arbres brassent une telle poussière que je ne perçois plus grand-chose. Mais, au cœur de ce chaos, j’ai soudain très envie de te voir. La nuit, en peignant, dans ma tête et face au monde, j’en finis pas de te décrire. Je suis entrée en guerre contre moi-même, sans crier. Un tourment qui a le goût de tes gestes, ton doux sourire et ta tranquille foi. Une branche épaisse vient heurter le type qui soi-disant est né d’une bonne étoile. En se cassant, ses jambes tintent comme des billes de fer rouillées et biscornues que l’on aurait glissé contre des mâchoires. Il tombe mollement au sol ; ses doigts trempés de rouge se tortillent comme des asticots vers le dôme au sombre feuillage qui a remplacé le ciel. Un ruban de lumière coule dans la terre à mes pieds. Je soulève son menton à l’aide du pouce et remarque alors les divers bouts de peau qui virevoltent autour de son crâne. Une âme nouvelle, une âme aux contours liquéfiés mordait dans tous ses muscles et croquait toutes ses dents. Mon esprit fourmillait d’idées et j’imaginais mal ce qui pourrait m’atteindre. « Je veux que ça aille vite », il a murmuré, entre deux hoquets. L’agonie effrayante qui s’étalait sous mon regard commençait à me brûler l’iris. Alors j’ai ramassé une pierre qui roula dans ma paume avant que je la jette de toutes mes forces sur le tableau qui s’embrasait.
Sus Dog, à l’image de ce Christ peint à l’huile, a tout pour me déplaire.
D’une part, il est gorgé de morceaux chantés (Dieu sait que j’aime le Clark SILEN-CIEUX) et en plus, il prend grave son temps. Mais ce qu’il perd en fougue et en audace, il le regagne en tressaillement.
Par-ci, par là, la musique s’illumine et prend alors tout son sens. Et j’entends tout. Des claquements inutiles aux plus belles envolées, mon corps absorbe tout. C’est comme si j’avais totalement changé du jour au lendemain, que mes plus anciennes croissances s’étaient fait balayer, laissant la place à un peu de jugeote et une toute nouvelle sensibilité.
Que ce soit toi ou Clark à l’origine de cette étrange rupture me fait sourire car j’ai vu mes rêves défiler à contresens. Je dépose à tes pieds toutes mes plumes solitaires et cette fois, promis, je ne me dégonflerai pas.