Albert Lewin – 1951 

  
Adossé contre le torse antique d’une statue de marbre, les orteils
nichés sous le sable et l’esprit allégé par l’alcool, le musicien
souffle dans son saxophone, emplissant l’air de notes moites et
dansantes.
Que règne l’Oisiveté!
Pendant ce temps, à l’abri des regards, sur les flots d’une mer
tranquille se terre l’immortel artiste aux doigts de feu. Rythmé par le
clapotis des vagues, les coups de pinceau s’enchainent et dévoilent la
femme aimée, qui reprend vie sous nos yeux ; et ses mains, écarlates
encore du crime qu’elles ont commis, tremblent de ne pouvoir enlacer
cette silhouette délicieuse, perdue à jamais.
 A jamais perdue? 
Sur
l’île, l’ombre d’une Dame rayonnante assujettit chaque créature croisée
sur son chemin. Ivres d’amour, les hommes se jaugent, redoublant
d’efforts pour la conquérir. Mais, plus le prix payé est élevé, moins
cela l’envoute. Car tant qu’elle n’aura pas aussi donné de sa personne,
son désir dévastateur ne pourra être rassasié.
Ô Pandora, divine créature, permets-nous de t’approcher!
A chaque regard, à chaque soupir, au moindre mouvement de lèvre, la
voilà maitresse des lieux et des êtres. Ava Gardner irradie
littéralement le cadre, au point de tous leur faire perdre la tête.
L’Amour n’aura jamais côtoyé la Mort d’aussi près. Amants maudits, ils
traversent chaque plan épaule contre épaule, le souffle court, les
doigts crispés sur le fourreau de l’Âme, bien décidés à en découdre.
Albert Lewin a parfaitement choisi son cadre : la tranquillité de l’eau
offre un contraste de choix aux impétueuses montagnes, témoins agressifs
d’événements glaçants. Et ce bar, ce petit bar d’apparence tranquille,
accueillera en son sein de brûlants face à face.

Accoudés sur la croupe d’un piano saoul, enivrés d’oniriques volutes
d’alcool, le poète, le pilote et l’enfant gâté se noient dans leurs
babillages indistincts. Quant au corsaire au cœur amère, il déploie la
gran’voile de son navire pour y coucher sa promise, les yeux clos,
l’éternité comme horizon.