Ruisselant d’écume ou de sang, l’uniforme du soldat n’est pas un voile ordinaire. C’est un symbole mystique de l’âme retranchée, où la vie future se recroqueville dans les plis des manches en sanglotant. Enrobés de Silence, un groupe d’adolescents déambule dans les rues mortes de Dunkerque, à la recherche de quelques miettes d’eau ou de pain. À la manière d’un rêveur fou, Nolan nous plonge in medias res dans le cauchemar, évoluant par à-coups (mimant les mouvements cycliques des vagues), entraînés par une infernale musique aux doigts de feu, qui jamais ne reprend son souffle. Terre molle, eaux troubles et azur laiteux, tels sont les terrains de jeux du réalisateur. Imprégnés de son obsession maladive du temps qui coule, les trois tableaux ont chacun leur fonctionnement qui leur est propre, ainsi que leurs propre règles du jeu. Si les fuyards passent de courtes secondes à scruter l’horizon de leurs yeux chlorés, les passages aériens, qui étirent leurs ailes sous un soleil rieur, semblent défier le temps, puisque vu de Là-Haut, leur sort ne se joue qu’en une brève poignée de minutes, à la manière d’un jet de dés héroïque qui viendrait renverser une partie perdue d’avance. Les mots sont économisés au profit des souffles saccadés et des amples mouvements de fuite, sombre ballet répétitif, orchestré d’une main de maître par la machine sobrement nommée Guerre. Broyant homme et métaux, Elle s’avance inlassablement vers le rivage, vomissant ses rejetons explosifs à intervalles déments, ne laissant que peu de répit aux caméras étourdies, affolées par la danse de ces êtres épuisés, à bout de force et rongés par la faim, que le temps semble avoir délaissé. Possédés d’une envie de rentrer chez eux spectaculaire et prêts à tout, c’est lors de quelques échanges vocaux musclés que leur désespoir éclatera au grand jour; violence des esprits et ratatouille bouillante de sentiments opprimés enfin libres, qui rongent et qui grignotent petit à petit tous leurs espoirs de délivrance.
Dunkirk est un râle de désespoir craché par la gorge enflammée de milles ombres déconfites et paumées, animées cependant du désir de toucher des doigts une fois encore quelques fragments de vie, contre la cuisse verte de la Terre natale, et, pourquoi pas, s’éteindre de honte mais à l’abri, loin de l’invisible ennemi au goût de plomb.