Sans contact, le polichinelle profite de la trêve des lames du vent pour reposer son âme saignée à vif.

Dans la plaine toujours bruineuse malgré l’herbe grasse apparemment riche, il cherche parmi les ruines éparses des semblants de sens pour réparer son corps de potiche pleine de trous.
Un faucon soudain l’attrape, lui transperçant de sa serre son foie de pelotes de laines qu’on ne viendra jamais recoudre.

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Dans le nid de son agresseur l’espoir lui vient enfin : une aiguille ! Il l’emporte et se jette dans le vide. Le vent doux de sa chute caresse pour la première fois les fils de sa tête de tissu au lieu de les arracher, tirant de lui un large sourire d’enfant. Il ferme ses petits yeux faits de boutons de chemise et entrevois les coups vifs qu’il va entreprendre pour rafistoler sa vieille chiffonnerie de peluche.

Pris dans sa rêverie il n’entend pas le bruissement de l’herbe qui se fait de plus en plus proche, ni ne voit la pierre bossue qui s’approche.

BLAM !

Les moutons de laine éclatent en tous sens, jonchant la prairie des restes de cette pauvre greluche mal soignée. Éparpillé à tous bouts de champ, il tente de se rassembler, mais c’est sans espoir ; le vent, cruel et intarissable maitre du hasard, ballote ces vieux chiffons en mille mauvais sens, les flux jamais ne concordant en une spirale salvatrice capable de rassembler les parts pillées d’espoir d’unité. La pauvre peluche est condamnée à se voir trimballée de part en part, retrouvant de ci de là et de temps à autre une partie perdue d’elle-même. Cette situation dura bien des lunes. Sans compter que la boue commençait à sincèrement encroûter les bouts de laines qui s’enterraient un peu plus à chaque pluie.

C’est alors que Brin d’Etoffes prit l’ultime décision : faire scintiller son merveilleux œil pour attirer une pie.

Elle ne tarda pas à venir sitôt qu’il eut commencé à le faire cligner avec une fébrilité énervante. D’un coup elle l’emporta dans son bec et c’est là qu’il put tenter une fois pour toutes de réaliser son rêve. D’un clin d’œil il s’adressa à la pie en morse :
« Ô toi orfèvre des plaines, toi dont la toison est un écrin d’ivoire et d’ébène à la gloire des diamants ! Je t’en conjure, accède à la prière d’un bijou parlant. »
La pie lui répondit en piaillant :
« Miracle ! Voilà enfin une pierrerie avec laquelle je pourrai être amie ! »

Ensemble ils volèrent des mois durant dans une extase sans précédent. L’œil de poupée parcourait le monde comme il ne l’aurait jamais fait s’il avait fini six pieds sous terre comme le reste de son corps. La pie étaient heureuse de sortir doucement de l’hystérie que lui causait le silence des ses joyaux.

Mais l’œil n’était qu’un œil et la pie n’était qu’une pie. Lui ne pouvait que voir le monde, elle ne pouvait que jacasser sur la vanité de son trésor. Il y eu plusieurs mésententes. L’œil voyait en toutes les formes des beauté précises et discrètes, des charmes mathématiciens dont l’œil éternel traçait des lignes quasi divines. La pie n’entendait rien qu’au clinquant, avait un don rare pour le repérage, un flair certain et une inébranlable volonté de gripsou malade pour aller chercher la pierre dont le reflet l’obsédait jusques en rêves. Chacun moquait de plus en plus la vanité des goûts de l’autre, les jugeant factices et sans valeur.

Piquée au vif à la suite d’une dispute, la pie envoya valdinguer la piécette ridicule dans un roncier pour lui apprendre à traiter ses pierres de vieilles caillasses vitreuses.

Sans elle, il n’était plus, et pourtant, voilà que pour lui elle n’était pas tout ?! Il avait ses lignes, ses formes, ses couleurs, ses arrangements stupides. C’est elle qui lui donnait la vie à cette peluche inutile et misérable qui ne se servait d’elle que pour survivre et observer les paysages tandis qu’elle s’échinait à voler de toutes ses plumes à travers la verte campagne !

Elle se repenti. Quand bien même le bouton de chemise ne fût de loin pas le plus beau bijou qu’elle eu compté, celui-là était le seul lui appartenant à qui elle pouvait aussi appartenir.

Mais craignant d’être abusée, elle hésita, et assit son pouvoir en laissant l’œil qui s’était planté sur le pic d’une ronce où il était, pour se rassurer. Car en vérité, elle ne vous le dirait jamais, mais je vous le dis, les remarques de la peluche sur ses goûts la blessait. Elle ne voyait pas les lignes de manière plate et calme, elle suivait, ou plutôt fonçait, vers l’unique ligne menant à son magot, son ultime fierté, son honneur véritable. Elle serait sans cela qu’une pie piailleuse. Mais maintenant elle allait pouvoir, et même, elle le sentait, devoir considérer le lien à cet ami, comme un joyaux plus ravissant encore que les étoiles qu’elle adulait et qu’elle rêvait de désincruster de la voûte céleste.

Ce qu’elle fit. Et ce qui depuis le début de cette histoire devait arriver arriva : le long des lignes que voyait le pantin de laine, ou plutôt son œil, elle parsema les roches de son trésor, composant à travers toute la plaine une merveilleuse concurrence au cortège des étoiles.
Puis ils allèrent sortir de terre les morceaux épars du pantin que la pie se refusait jusque-là à fouiller de son bec né pour le diamant. Après l’avoir recousu avec l’aiguille que la pie retrouva d’un coup d’œil, ils célébrèrent le retour du corps du pantin dans un mémorable et joyeux festin de vers de terre.

Fin. Enfin.

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