L’invitation que j’ai reçue, enrobée d’une enveloppe pourpre, tient dans ma paume moite. Je la montre au vigile qui la renifle scrupuleusement, avant de me palper vite fait et me faire signe d’avancer. Une silhouette masquée troque l’invit contre un tampon ringard à mon poignet gauche, derrière moi, un type s’impatiente, les épaules fondues à l’obscurité.
J’accélère et pénètre dans le hangar.
Un bataillon de kicks brûlants jaillit de derrière l’Illusion, fondant sur moi à toute vitesse. Leurs semelles de caoutchouc piétinent ma chair et rapidement, des trous se forment sur ma peau, sortes de cratères ronflants d’où filtre une curieuse fumée mauve.
Dans mon crâne, les percussions se font l’Amour en se marrant, torses et poitrines gonflés d’orgueil sur lit de bas-ventres trempés : autant de matelas ruisselants que de raisons de s’y perdre.
L’envie d’en découdre me submerge, et comme j’accueille toute forme de fureur avec délice, j’étends mes bras au-dessus de ma tête et me met à danser.
Mon corps n’est plus qu’un amas d’atomes surexcités et crépitants, sans cesse avalé et recraché par la musique, dangereux roulis de vagues goût néon, je roule sous sa langue de feu, m’écorchant les bras sur ses dents aiguisées.

Anthony1 livre ici l’EP de l’année, celui que l’on n’attendait plus, avec, en morceau d’ouverture, Illusion of Quality qui m’a déchiré l’âme en deux. J’ai d’abord cru à du Sienna Sleep, avant de réaliser qu’elle s’occupait du mastering. Je me suis vautrée dans la fusion de ces deux génies, à coeur perdu, l’échine en feu : ça fait tellement longtemps qu’on ne s’est pas retrouvés à un concert, qu’on ne s’est pas éclatés en soirée, OR ! Le quart d’heure qu’Anthony1 nous sert sur un plateau d’ivoire a de quoi ressusciter les morts et nous rappeler à tous cet état de fait aussi dérangeant qu’immuable : la musique, sur nous, a tout pouvoir. Le doute n’est plus permis, pas après un EP de cette trempe, conclut de la plus audacieuse manière qui soit, avec Human Compossed à 100 à l’heure, habitée d’une impétueuse comète, zigzaguant d’une enceinte à l’autre, d’un corps déglingué à l’autre. Et que dire de la track 3, Change ? Camée jusqu’à l’os, elle ouvre ses bras charnus à tous les paumés de l’Univers, à tous les poètes déçus, elle les rassure et les cajole, ses lèvres moites virevoltant à leur front.

Timidement, l’Aurore imprègne l’air de son haleine mordorée et en enveloppe les teufeurs à la manière d’une mère aimante. Le jour n’est pas complètement là, et c’est précisément à cet entre-deux que je décide de m’abandonner. Je me mets un peu à l’écart, contemplant d’un air distrait la lueur qui souligne plus qu’elle n’éclaire les murs de béton des hangars ainsi que les arbres qui encadrent l’horizon. J’ai rarement eu les idées aussi claires qu’à cet instant, mes pieds évitent une flaque et je m’allonge au pied d’un chêne, le dos callé contre ses racines, l’âme pleine d’une félicité retrouvée.