C’était une maison triste et suintante, aux lourds volets ridés, qui se dressait maladroitement au centre d’une mare de boue, servant de terrain de jeu à une armée de porcelets braillards. Tous avaient deux gouffres béants à la place des yeux, deux gouffres chauds et mouillés dont gouttaient des larmes vermeilles parsemées de croûtes qui s’effaçaient dans le sol en quelques crépitements sordides. Le plus jeune d’entre eux, celui qui n’avait pas de queue, somnolait entre les pattes du cadavre de sa mère, allègrement rongé par les asticots. Petit pourceau rumine, le groin couvert 
de moisissures, entrecoupant ses élucubrations de rots sanguinolents.

À quelques mètres de lui, un puis creusé à même le sol recrache des volutes d’une fumée acide et grise , relents mortels puisés au plus profond des Enfers, et qui écorchent les parois à chaque passage. Tout au fond, un alchimiste à la peau trouée par la lèpre s’active au dessus d’un grimoire. Sa main droite malaxe une racine brunâtre, la gauche tourne lentement les pages du livre. Moisies depuis des lustres, ces dernières sont fragiles, il n’est pas rare que des petits bouts orphelins virevoltent dans l’obscurité. Un cierge planté dans un crâne de singe éclaire sporadiquement les lieux, ici, la langueur est éternelle.

En haut, dans la lumière, quelque chose a changé.

Petit cochon chouineur a redressé la tête et écoute : des semelles en caoutchouc font gémir la gadoue, des petits pas d’enfant qui se rapprochent et qui ont tout d’un tendre repas providentiel.
Au son rauque d’un râle de corbeau querelleur apparait le marmot au teint pâle et aux cheveux bouclés. Il s’avance lentement vers la maison aux volets mangés par la fièvre, prenant soin d’éviter de réveiller les porcs, vautrés dans la fange tels des soldats exténués dans les tranchées. L’atmosphère s’épaissit lorsque le plus jeune des pourceaux sent que le mioche s’est arrêté devant le puis. Une mélodie décadente s’élève de l’anneau ténébreux, grinçante et métallique, comme le sang . L’enfant calme sa respiration au maximum et tend l’oreille. Ce qu’il perçoit le paralyse…

HEXN distille ses 6 tracks en maître total de la formule : al-khïmiyya prend l’auditeur aux tripes dès les crépitements carnassiers du premier morceau. Âpre et frontal à la manière d’une bête démente, Never Again Again Again martèle l’espace de ses sabots électroniques, traçant les prémices terreux d’une voie que l’on devine impitoyable, que l’on s’empresse pourtant d’emprunter. Les passages chantés retournent le corps et l’esprit. À qui donc appartient cette voix torturée et plaintive ? Un être solitaire aux cheveux rongés par l’effroi vous répondra brusquement, une armée de notes saccagées à ses trousses. Veut-il être sauvé ? Plus les morceaux se consument, plus les chairs se creusent d’entailles mélodiques profondes. HEXN se joue de nous, piétinant allègrement nos parcelles de confort, étirant les morceaux à sa convenance, forçant ses instruments à vomir tripes et boyaux pour nous offrir le plus ardent des spectacles.

L’enfant, à présent habité par une force qui le dépasse, n’entend pas l’animal qui se rapproche. Lorsque le groin de la bête entre en contact avec les cuisses du gamin, l’alchimiste redresse vivement la tête, le visage fendu d’un sourire cruel. D’un geste lent, il ouvre les bras, prêt à recevoir l’offrande.

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