« Do you find me boring ? » demande-t-il à sa femme aux lèvres molles, alors qu’il connait la réponse.
S’il avait su tout cela, before, il se serait étouffé entre les lignes, sans bruit.
Doigts blancs, ridés, roulés autour des pieds de cristal dont la démarche inaboutie témoigne d’un manque d’autodérision flagrant. Ça fait des plombes qu’il ne bande plus et qu’il s’abîme, au ralenti, la langue piquetée de taches noires, engourdie. L’ambition s’effrite au contact des saisons et les jouets d’enfants remplacent peu à peu les disques et les orgasmes dans tous les foyers tièdes. Un de ses amis se fait pisser dessus par son rejeton, agrippé, endormi sur son énorme bedaine. Pendant un court instant, tout le tragique de l’existence s’enflamme au contact de cette pisse chaude dont les relents raffinés d’extase ravivent des petits bouts de liberté. À la place de la lucidité déboule bientôt un grand type aux mâchoires humides, dont l’œil hagard galère à se fixer. Dis-voir. Qu’est-ce qui a bien pu leur passer par la tête, à ces 4 compères, pour tenter pareille expérience ? Les mines grises et ennuyées des étudiants qu’on se coltine quotidiennement ? L’horrible glu de la routine beurrée sur les consciences ? Ça use, l’invisibilité, à force; les machines révèlent plusieurs signes de faiblesse, tchkk tchkk, le dos broyé du professeur d’Histoire n’est plus en mesure de porter le Monde ni même son Souvenir. Alors, il lève le calice à ses lèvres, sans trembler. glou glou glou le séduisant breuvage glisse en lui et chuchote quelques secrets à son sang. Assis face à ses juges, il chausse ses lunettes, l’esprit déjà léger, lapin dégourdi hors la cage il bondit de mots en mots avec aisance, grignotant des anecdotes au passage et pirouettant par-ci par-là. Voilà, c’est fini. Il a parlé sans s’arrêter, ils ont écouté sans l’interrompre. Des billes de sueur perlent à son front, son cœur accuse le coup et martèle sa poitrine avec fracas, mais qu’il est bon de se vautrer dans la plénitude d’un cours réussi, une euphorie toute nouvelle enveloppant les sens. L’émoi est aussi grand que l’imminent danger.

On sait à peu près où cela va nous mener, dès les premières minutes. Y’a pas vraiment non plus de coup d’éclat, de véritables scènes géniales, et je crois que c’est précisément cela qui fait la force du film : tourné avec intelligence et sans timidité, nous voilà juges de ces existences ratées qui pourraient bien – plus tôt que l’on ne pense se faire miroir de notre propre destinée. La vie n’a très certainement pas plus de sens qu’une bonne grosse murge entre copains, tous nos efforts pour la remplir et l’embellir peuvent très bien, après quelques bouteilles, finir en geysers tièdes au fond du lac, je tire un coup rapide sous une tente Quechua, plantée à côté de mes gosses que je n’ai pas envie de comprendre, eh puis j’ai soif et me resserre un verre, titube et me prends la cadre d’une porte en plein visage, mes os craquent et mon nez pisse le sang, mais ce que je m’en branle ! puisque mes flancs tourbillonneront aux sons d’une nuit d’été et que mes bras s’ouvriront assez large pour accueillir et consoler toutes mes peines à boire ! et qu’on me foute la paix.